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La Réforme à Boiscommun

Les débuts de la Réforme

Il y a peu d'histoires plus curieuses, plus lamentables et plus ignorées que celle du protestantisme dans l'Orléanais.

Au sortir du Moyen Age, la foi religieuse était encore très vive dans nos populations, aujourd'hui plutôt tièdes. Lorsque Luther et Calvin voulurent rendre au christianisme sa pureté primitive en le ramenant à l'écriture Sainte et aux évangiles, leur doctrine fit beaucoup de partisans dans les pays entre Seine et Loire. A Orléans, le chapitre de Sainte-Croix avait dit, dans une délibération capitulaire, que la plus grande partie de la population avait embrassé les idées nouvelles, surtout dans les classes instruites, et le reste de la province suivit.

Ce désaccord sur la meilleure manière de prier Dieu, au lieu de les pousser vers les oeuvres de charité pour montrer la supériorité pratique de leurs croyances respectives, eut des résultats tout différents. On eut recours à la force. Ceux qui détenaient le pouvoir traitèrent les autres en criminels; une chambre spéciale au Parlement fut créée pour juger les procès d'hérésie, et mérita le nom de chambre ardente car les bûchers s'embrasèrent.

En 1546, Étienne Dolet, le savant humaniste d'Orléans, était brûlé place Maubert à Paris. Trois ans plus tard, la persécution battait son plein. A Orléans même, deux jeunes gens étaient brûlés vifs sur la place du Martroi, pour un crime de nouvelle religion, par sentence du prévôt.

La même année, Louis Jolihon, serviteur du seigneur de Tignonville, fut condamné à Paris pour blasphèmes sacramentaires, par arrêt du 8 avril 1549. L'arrêt porte : « Qu'il sera mené dans un tombereau, depuis la Conciergerie jusqu'à la place Maubert, où il sera soulevé à une potence, autour de laquelle sera fait du feu, dans lequel il sera brûlé, et préalablement au supplice, on le mettra à la torture, pour qu'il nomme ses complices, et ceux desquels il a appris ces blasphèmes. S'il persévère à cacher la vérité, il sera seulement étranglé, sinon brûlé vif, après avoir eu la langue coupée ». Voilà quel était le châtiment réservé à ceux des protestants qui, convaincus de la supériorité de leurs croyances, traitaient d'idolâtrie la messe, le culte de la Vierge et des Saints.

A ceux au contraire à qui la peur de la mort ou du feu faisait renier leur foi, on réservait un traitement plus doux, dans l'Amende honorable : Pierre Gaillard, prêtre de Boiscommun, fut condamné à faire « amende honorable », c'est-à-dire que, durant la messe, il dut rester à genoux et tête nue, tenant en main un cierge ardent du poids d'une livre de cire, puis fut mené nu, la corde au cou, battu et fustigé de verges, par les carrefours et au pilori, enfin banni du royaume sous peine de mort, et ses biens confisqués.

Quant aux pauvres diables qui, sans rien entendre à ces subtilités de religion ancienne ou réformée, avaient laissé échapper des paroles malsonnantes à l'égard des saints, l'amende pour eux n'entraînait pas des conséquences aussi graves, mais ils étaient néanmoins châtiés sans pitié. Les registres du Parlement de l'année 1554 contiennent des arrêts rendus contre plusieurs habitants de Boiscommun, qui furent arrêtés, traînés à Paris, jugés et condamnés, pour avoir manqué de respect à la mémoire de saint Pipe, le second patron de Beaune-la-Rolande.

Voici d'ailleurs l'histoire de ce procès qui se déroula en 1554. La châsse de saint Pipe, conservée dans l'église de Beaune-la-Rolande, renferme un certain nombre de documents. Parmi ceux-ci se trouve une liasse de papiers intitulée : Partye des pièces contre quelques particuliers de Boiscommung, qui avaient mal parlé contre Monsieur Saint Pipe. C'est ainsi que nous est parvenu l'écho d'un étonnant procès qui fut jugé le 4 octobre 1554 au Parlement de Paris. Un registre, malheureusement incomplet, contient encore en 43 pages les dépositions de 25 témoins. Celui qui sait lire ce grimoire voit revivre un instant toutes sortes de personnages, morts il y a bien longtemps.


Histoire d'un procès qui s'est déroulé en 1554

Un jeudi de l'an 1554, jour de marché, une nombreuse assemblée se trouve à Boiscommun chez jean Berthelot, hôtelier près de la halle. Plusieurs habitants de Beaune surviennent, et le dialogue suivant s'engage.

Berthelot - Dieu vous garde messieurs de saint Pipe avec vos grandes oreilles. Vous avez été à la procession ?

Hardy - Vous étiez tenus d'y venir comme les autres.

Berthelot - J'ai été à Beaune avec l'huissier Poullin, mais pas pour la procession. C'était pour faire mettre en prison, un homme qui me devait de l'argent. Par la vertu Dieu, il n'y a point de saint Pipe pas plus que de diables. Saint Pipe ça ne vaut pas dix poinçons 1.

1. Poinçons : anciennes mesures de capacité ; il y a ici un jeu de mots : 5 pipes = 10 poinçons.

Berthelot - C'est un gentil saint. L'évêque qui vint dernièrement à Beaune a défendu de donner son nom aux enfants. Les os que vous avez dans la châsse sont des os de chevaux que la grand-mère de Jacques Gombault avait été chercher près de l'étang de Beaune, en un lieu où on traînait les chevaux morts. Elle les a amenés dans son tablier, c'est Jacques Gombault qui me l'a dit. Je vous ferais bien rompre votre châsse, pour voir ce qu'il y a dedans. Ceux qui la révèrent sont des idolâtres. Ils la portent, pour adorer les grenouilles à une fontaine, qui n'est qu'un margouillat.

Besson - Les os qui sont dans la châsse ont été translatés par un évêque. je crois qu'il y a un saint Pipe, comme mes ancètres l'ont cru. Vous n'oseriez soutenir ce que vous dites.

Berthelot - Par le corps Dieu, si, je le ferai.

Hardy - Vous êtes luthériens, et ne faites pas comme les autres. Vous êtes méchantes gens, et je ne m'ébahis pas si nous avons beaucoup de maux (dépositions de Robert Mouchaut, Gilles Besson, Étienne Demay, jean Lebeau, Jean Galichet, Pierre Legras et Mathurin Bréchémier.)

Le 12 juin, nous trouvons à Beaumont chez l'hôtelier jean Pellegrin, Pierre Baudeau : « Qui dict, quand il voit quelques vaches de Beaulne : Voilà sainct Pipe, avec leurs grandes oreilles - (déposition : Hiérosme Henry et madame Bernard, de Boiscommun, qui tient de semblables propos ; ils s'entendent répliquer par jean Buisson : « Ce n'est pas d'aujourd'hui que vous en voulez entre vous de Boiscommun à tous ceux de Beaune - (déposition de Jean Bonnault).

Le 15 juin 1554, Berthelot soupe à Nemours en l'Hôtel de l'Ange et quelqu'un dit : Comme il pleuvait, Dieu et monsieur sainct Pipe nous a bien aidé, voicy ung gentil temps, a quoy le Berthelot dist par la mort Dieu, tu es ung gentil compaignon. Veult-tu soustenir qu'il y ayt ung sainct Pipe - (déposition Mathurin Couloys)

Les marguilliers de Beaune finirent par porter plainte et Berthelot, Baudeau et Bernard, incarcérés au Châtelet de Paris, furent jugés le 4 octobre 1554.

« La cour a condamné et condamne les dict Berthelot, Bandeau et Bernard à assister dévotement et sévèrement à une grande messe, qui sera dicte à leurs dépens, à jour de dimanche en l'église paroichielle de Beaulne. A laquelle messe, seront dictes les prières, oraisons et aultres suffrages, accoustumez estre dictz et célébrez en la dicte église, le jour reste et solemnité du dict saint Pipe, Et Oultre les a condamnez et condamne ung chacun d'eux seul, et pour le tout, en la somme de douze livres parisis, applicable scavoir, est, quatre livres envers les dictz marguilliers de la dicte église sainct Martin du dict Beaulne. Et sy a faict et faict icelle cour, inhibitions et déffenses au dict Berthelot, Baudeau et Bernard de doresnavant tenir propos scandalleux contre les sainctz et sainctez de paradis, mesme contre Monsieur sainct Pipe, et leur enjoinct de bien vivre, et de porter honneur et révérence aus dictz Sainctz. Et néantmoings, n'entend la cour, que pour raison du contenu, en ce présent arrest, les dictz prisonniers encourent aucune notte d'infamye.

La peine, en cette époque de luttes religieuses, était indulgents, et les registres du Parlement mentionnent queue fut subie.


Dès le XVIème siècle, la dévotion à saint Pipe fut donc attaquée dans son fondement même, et il faut voir dans le grand mouvement d'idées qui agita la France à cette époque l'une des causes de sa disparition. Or, par une étrange ironie du sort, les pièces du procès de 1554 sont les premiers documents détaillés que nous possédions sur le culte de saint Pipe.
On connaît les résultats de cette terreur religieuse qui règnait d'un bout de la France à l'autre. Les Protestants prirent les armes et les fils d'une même patrie commencèrent à s'égorger les uns les autres, pour la plus grande gloire de Dieu. Pendant les dix premières années de ces luttes fraticides, les Protestants eurent le dessus dans l'Orléanais, où ils avaient l'avantage du nombre et de la situation sociale.
Les odieux massacres de la Saint-Barthélémy, le 23 août 1572, rétablissent l'équilibre au profit des Catholiques, et les Protestants ayant échappé à la mort cherchent refuge à l'étranger.
Parmi les Protestants célèbres ainsi réfugiés à Genève, on trouve plusieurs noms de Boiscommun : Jean Arrault, jadis procureur à Boiscommun, et Martial Marchand, ancien prévôt à Boiscommun qui, déjà en septembre 1562, avait été privé de sa charge pour avoir adhéré au parti de la prétendue religion réformée; plus tard, il trouva un appui auprès de la Dame de Chemault, une amie de Renée de France, qui fut comme elle la providence des Protestants, et fit de Martial Marchand son bailli et son factotum.

L'on trouve enfin Michel Boucher de Boiscommun, qualifié de « ministre de la parole de Dieu ». Ce Michel Boucher est un personnage qui mérite l'attention. D'une vieille famille de Boiscommun, il commença par publier en 1557 et dédier au Cardinal de Bourbon, allié de Saint-Denis et seigneur de Beaune-la-Rolande, une oraison funèbre de son frère jean, duc d'Asigisme, tué à la bataille de Saint-Quentin; puis il se convertit au protestantisme et, en 1568, l'année de la bataille de Saint-Denis, il publia une harangue en vers adressée aux soldats de Condé, avec une traduction versifiée du Cantique de Moïse adapté à la circonstance. Ces pièces, qui sont d'une grande beauté, mériteraient d'être rééditées. (oeuvre d'un (Tyrtée) huguenot qui avait le souffle poétique, et elles sont si heureusement inspirées de la Bible que certains vers rappellent les plus beaux passages des tirades de Joad, dans l'Athalie de Racine. Réfugié à Genève après la Saint-Barthélémy, Michel Boucher ne tarda pas à rentrer en France. Nous le retrouvons pasteur de l'église réformée à Chilleurs-aux-Bois, d'où il fut chassé en 1585. Il se réfugia à Jargeau, où il dut mourir en 1617 car, à cette date, le synode protestant accorda une pension à sa veuve.
Les De la Taille, De Barville, Du Lac, De Machaut, pour ne citer que les principaux entre les gentilshommes de la région qui furent mêlés au mouvement réformiste, ne durent pas laisser en repos une cité de l'importance de Boiscommun, et peut-être faut-il situer à cette époque la destruction d'une partie du château.
Il n'est si petit village, si maigre hameau, qui ne subit la calamité des visites, qui toujours laissaient des ruines : maisons détruites, arbres fruitiers arrachés, pillages, réquisitions et dévastations autant par les reîtres allemands au service de la Réforme, que par les traînards de toutes catégories. Ce sont là les principaux motifs de la profonde misère qui s'abattit sur les habitants du Gâtinais.
On sait qu'en 1560 à Batilly, à quelques kilomètres de Boiscommun, le curé Marchand fut pendu au clocher de son église par les religionnaires, que son successeur Étienne Dupuis dut, en 1562 et en 1568, se mettre à la tête de ses paroissiens pour, avec 15 petites bombardes, que les braves vignerons du lieu manoeuvraient avantageusement, repousser les bandes dévastatrices.


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